Maître Dôgen - Déploiement du cœur de l'Eveil [Hotsumujôshin] - Shôbôgenzô, la vraie Loi, Trésor de l'Oeil - Tome 1

Durant la Sesshin, les "kusen", les "teicho" et même certaines réponses durant les "mondo" ont portés sur le déploiement du cœur de l'Eveil. Je serais incapable d'en faire un résumé, n'ayant pris aucune note. Et puis j'ai écouté avec mon cerveau gauche. Il ne s'agit pas, de toute façon, d'avoir appris quelque chose mais de laisser notre cœur se déployer comme présence. 

Pour comprendre ce texte il est nécessaire d'en connaitre le contexte. Il est contemporain de la construction d'un nouveau temple dans la province d'Echizen en 1244. Le texte s'adresse aux laïcs qui aide à la construction de ce nouveau temple. L'enjeu du texte est celui de l'absence de mérite pour soi au profit de la résonance collective entre moines et laïcs.
"Si l'on pratique la Voie avec un cœur sincère en se laissant transformer avec les herbes, les arbres, les tuiles et les cailloux, on doit obtenir la voie. Car les quatre éléments et les cinq agrégats vont ensemble avec les herbes, les arbres, les tuiles et les cailloux. Ils ont la même nature, ils ont le même cœur et la même vie et ils ont le même corps et la même dynamique."
Dogen dit exactement la même chose que Cynthia Fleury dans le Telerama du 29 Août au 4 septembre 2015 lorsqu'elle oppose le sujet individualiste (autocentré, grisé par l'ivresse de soi) et le sujet individué (décentré, singulier)
"Le sujet individué met en place un regard sur le monde extérieur, déploie et assure un socle, une assise, qui lui permet d'entrer en relation avec ce qui l'entoure. L'aventure le l'irremplaçabilité, la voie de l'individuation ressemble sous maints aspects à celle de la dépersonnalisation. Il ne s'agit pas de devenir une personnalité, d'être dans la mise en scène de l'ego. L'enjeu est au contraire relationnel: il s'agit de se décentrer pour se lier aux autres, au monde, au sens."
La dépersonnalisation signifie ici devenir authentique, vrai plutôt que jouer un personnage. On n'est vrai lorsque l'on cesse de penser à sa petite personne et que l'on est attentif à la singularité de tout ce qui nous entoure et d'un même mouvement on prend conscience d'avoir le même coeur. Chez Dogen le décentrement est radical.
"C'est dans une seule poussière qu'existent plusieurs milliers d'écritures saintes et le nombre incommensurable des éveillés"
Ce qui signifie que chaque chose, chaque être, vivant ou non, dans sa singularité, exprime le Dharma, la réalité telle quelle et à laquelle il faut être attentif.
"La méditation assise et la pratique de la Voie ne sont autres que le déploiement du cœur de l'éveil. Le déploiement du cœur n'est ni un ni multiple : la méditation assise n'est ni une ni multiple. Ils ne sont ni à multiplier ni à diviser. Il faut étudier à fond tous les existants tête par tête"
 Ni un ni multiple signifie singulier, autre. Comme le dit Parménide, ce qui est autre ne renferme aucune unité ni totalité. Ce qui est singulier, différent, autre ne peut se multiplier ni se diviser.
"C'est avec ce corps et avec ce cœur qu'il faut déployer le cœur de l'éveil"
Le corps et le cœur font la singularité et l'irremplaçabilité.
 "Si un seul cœur se déploie pour la première fois, une Vacuité se déploie si peu que ce soit."
La pratique de la voie impulse et influence le monde entier pour l'avenir. Toute petite action qui va dans le bon sens est une grande action par ses conséquences. Comme le dit Deshimaru : Pratiquer sans but ni profit et des mérites infinis apparaissent.
"En général, lorsqu'un être éveillé et un être non éveillé déploient ensemble le cœur de l'éveil, ils obtiennent pour la première fois une graine de la nature de l'éveillé"
Même des êtres radicalement différents peuvent entrer en résonance, comme des moines et des laïcs, des êtres sensibles et animés et des êtres inanimés.
 "C'est ce déploiement du cœur qui vous conduit directement à la réalisation de l'éveillé! Cela ne doit jamais être brisé ni anéanti dans l'espace intermédiaire"
 Ils ne sont pas séparés. Ils ne sont pas du même monde mais ils sont dans la proximité.

"Cependant voici ce que disent les partisans stupides du petit véhicule : Les constructions (...) sont des actes méritoires qui sont de l'ordre du confectionné, il ne faut donc pas s'en occuper"
 Dogen récuse l'idée qu’œuvrer pour la communauté des moines permet d'accumuler des mérites pour soi uniquement. Il récuse également l'idée qu'il faudrait uniquement méditer et ne pas se préoccuper des choses matérielles et périssables.  En revanche œuvrer ensemble, en suivant les écritures bouddhiques et les bons maîtres, tout en étant radicalement différents, permet de mettre à jour sa nature de bouddha dans l'instant présent. On retrouve l'idée d'irremplaçabilité et donc de responsabilité individuelle et collective pour semer les graines de l'éveil qui vont germer dans l'avenir.  Il n'est pas indifférent que l'on retrouve ici la référence à Bodhidharma

"Le premier patriarche chinois (Bodhidharma) dit : Chaque cœur est comme du bois et de la pierre"
Il est dommage que Nietzsche ne se soit jamais intéressé de près à Bodhidharma. Il aurait écrit moins de bêtise sur le bouddhisme (voir le chapitre 4 partie II de La rencontre du Bouddhisme et de l'occident de Frédéric Lenoir). Le bois et la pierre expriment la fermeté, la diligence, l'absence de sensibilité déplacée, l'absence de sentiments comme la pitié stérile et centrée sur l'égo.
Dogen commente ainsi:
"C'est par la force de ce cœur de bois et de ce cœur de pierre que se réalisent comme présence la pensée et la non pensée de ce présent"
Dans un autre texte "une perle claire" [Ikka myôju] (Shôbôgenzô - Tome 3, p 102) Dogen écrit :
"C'est en traquant la chose que se fait le moi, et c'est en traquant le moi que se fait la chose. A la naissance des sentiments et émotions, la sagesse s'éloigne"
C'est donc avec un cœur ferme et persévérant, éloigné de toute sensiblerie, sans but, ni profit d'aucune sorte que l'on peu déployer le cœur de l'éveil.




3 commentaires:

  1. « Vous qui étudiez la Voie, vous devez être éveillés subitement (et ensuite) vous cultiver graduellement et, sans quitter (la pratique) obtenir la délivrance. Une mère ne met-elle pas subitement son enfant au monde ? Et ensuite elle lui donne le sein et peu à peu le nourrit, ainsi la sagesse de l’enfant s’accroit spontanément. De même en va-t-il de l’Eveil soudain, de la vue subite de la nature de Bouddha, et Prajna (la sagesse) s’accroit ensuite peu à peu spontanément » Ikka Myoju.
    (…)
    Wei-yi montra à Dogen le document qui concernait la cinquième maison, celle de Fa-yen. Mais ce qui impressionna Dôgen fut une des phrases de ce document : « Le premier Patriarche Mahâkâshyapa fut éveillé par le Bouddha Shâkyamuni. Le Bouddha Shâkyamuni fut éveillé par le Bouddha Kâshyapa. »…
    La succession par la transmission avait donc commencé bien avant le Bouddha historique.
    Dôgen : « En lisant cette phrase, je fus fermement convaincu qu’il existait un héritage du Dharma, transmis par un authentique héritier à un authentique héritier. C’était une leçon que je n’avais encore jamais eu sous les yeux. A ce moment précis, les ancêtres Bouddhas avaient inconcevablement répondu à mon vœu et m’étaient venus en aide. Je n’avais jamais été aussi ému. »

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  2. Cache ta joie...

    " Shin jin datsu raku !
    Datsu raku shin jin."

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