Maître Dôgen - Le tel quel [Immo] - Shôbôgenzô, la vraie Loi, Trésor de l'Oeil - Tome 5

"Vous ne savez pas, tout en possédant cette Sagesse, à travers combien de naissances et de morts vous vous êtes laissé absorber par les choses du monde qui vous fatiguaient en vain"

Nous possédons tous la Sagesse dont il est question ici mais tant que les relations circonstancielles ne sont pas réunies, nous passons à côté du "tel Quel" sans le voir ni l'entendre.

"Déjà, mon corps n'est pas moi-même. Emportée par le temps qui passe, la vie ne peut pas s'arrêter même un instant. Où est passé mon jeune visage au teint vermeil?" (...) Et bien que ce soit ainsi, il y a celui qui déploie le cœur de l'Eveil sans qu'il sache ni comment ni pourquoi. Dès le déploiement de ce cœur, il abandonne ce à quoi il jouait jusqu'alors, désire entendre ce qu'il n'a pas encore entendu et cherche à attester ce qu'il n'a pas encore attesté. Tout cela n'est nullement l’œuvre de son moi."
 (...) Tel est le principe de la Voie selon lequel, "si la personne dotée de la Sagesse entend (la loi), elle la comprend aussitôt avec foi" La sagesse ne s'apprend pas avec quelqu'un; on ne la produit pas non plus de soi-même. (...) "C'est la Sagesse que recherche la Sagesse".
 Ce texte déjoue subtilement deux erreurs, la première qui serait de chercher quelque chose que nous ne possédons pas déjà (la sagesse) la deuxième qui serait de s'identifier avec cette sagesse. Cependant, à partir du moment où on entend la loi (que ce soit, les sutras, le dharma ou le réel lui même, le tel quel) on désire alors entendre la loi. Ce n'est parce qu'on cherche le tel quel qu'on le trouve, mais c'est au moment où on trouve le tel quel que l'on va chercher à comprendre ce qu'est le tel quel même s'il est par nature incompréhensible.
"Une chose est toujours en vérité la chose telle quelle. Étudiez cela à fond. Il n'y a pas à douter de la chose telle quelle, venue d'une façon telle quelle!"
 Dogen affirme donc simultanément que les choses sont telles qu'elles sont, mais qu'elles adviennent de la façon dont elles adviennent et que c'est cela qu'il faut étudier. Si vous entendez le réel prêcher le Dharma (mujo seppo), tendez l'oreille et ouvrez l’œil puis pratiquez.


Roland Vaschalde - À l’Orient de Michel Henry

Il s'agit d'un recueil de textes de Roland Vaschalde qui porte sur la pensée de Michel Henry mais aussi sur une pratique du zen soto. D'un côté nous avons une belle description phénoménologique de zazen, de l'autre il échoue à rendre compte de la voie à partir de la pensée de Michel Henry. Si la pratique de la voie se confond avec la réalisation, Roland Vaschalde oublie que même dans le zen, il s'agit toujours d'aller au delà du par delà. ("Gya tei gya tei hara gya tei"). La position que défend Roland Vaschalde est précisément celle que critique Dogen sous le terme de naturalisme. Même s'il ne comprend qu'à moitié le zen, c'est quand même une moitié bonne à prendre:

"Au grand dam de notre tranquille assurance rationnelle sans cesse confortée par le sens commun et notre vie sociale, nous expérimentons là, sans aucun doute, la parfaite autonomie de ces pensées avec lesquelles nous avons tant pour habitude de nous identifier, leur caractère terriblement éphémère, leur labilité extrême, l'impossibilité de leur attribuer une origine et une destination assignable... Au point que, pour nous, entendre les évoquer pour étayer la certitude de notre identité personnelle ou pour définir la simple réalité de notre existence en tant que personne ne pourra plus désormais prêter qu'à sourire. » (…) « un stade nouveau va survenir où se révèle une modification profonde non seulement de l'état psychologique de conscience mais encore de sa structure même, de telle sorte qu'il ne serait pas absurde de s'interroger sur le maintien de cette notion. Que s'est-il concrètement passé? Cessant d'être soutenue par l'attention bienveillante ou fascinée de l'ego, la prolifération infinie et incessante des pensée vient paradoxalement... de cesser"
Voilà qui me conforte dans l'idée que même un débutant peut en quelques minutes faire l'expérience de la vacuité.
"Dépourvue de soi chacune des réalités qui nous apparaissent sont à la fois éphémères et dépendantes d'une chaîne de causes dans laquelle elle va s'insérer à son tour. De telle sorte qu'en elle même elle se trouve privée de toute substantialité propre."
 Hélas,  Roland Vaschalde va chercher à confronter cette expérience avec la pensée de Michel Henry et ça donne :

"Etant le sentir en tant que tel, cette auto-affection n'a rien d'une structure formelle et vide. Elle est à chaque instant une expérience de soi effective (...) il est cette chair dont la cohérence interne consiste en ce lien interne avec soi-même impossible à rompre qui fait de nous des vivants et confère à cette suite ininterrompue de sentiments l'apparence d'un déroulement destinal."
Si l'égo va être fustigé par Roland Vaschalde et Michel Henry donnant le sentiment d'un point de convergence avec le bouddhisme, hélas une sorte de "soi" minimal pour ne pas dire subliminal va subsister qu'il va appeler ipséité. A propos du bouddhisme, c'est à dire des quatre nobles vérités,  Roland Vaschalde écrit:
 "Sans doute y-a-t-il là une analyse d'une validité mondaine parfaitement convaincante. Mais elle n'est construite qu'au prix d'un double escamotage : celui de la réalité phénoménologique de la souffrance, antérieurement à tout point de vue possible quant à ses causes ou à sa définition conceptuelle, celui de l'ipséité comme condition elle même phénoménologique de toute expérience"
Autrement dit sans "soi" il n'y aurait pas d'expérience. La souffrance dans la mesure ou Vaschalde dit qu'elle est indépassable (contredisant frontalement la 3éme et la 4ème vérité du Bouddha) prouve qu'on ne saurait tenir ce "soi" pour inexistant.

"Un sentir non habité et porté par une subjectivité est proprement inconcevable si ce n'est comme pure abstraction""Comment ce qui ne se sent pas lui-même pourrait-il un jour se prendre pour quelque chose, mieux pour quelqu'un? Comment ce qui n'a pas d'être pourrait-il s'illusionner et croire qu'il existe?"
On serait tenter de répondre à la manière du Bouddha :

"A qui m'avez vous entendu enseigner la doctrine de cette façon, O stupide?" Ce que Roland Vaschalde ne comprend pas c'est que ce n'est pas "le sentir" que nie le bouddha mais que derrière les cinq agrégats il y ait une substance permanente. C'est l'unité et la permanence du "je" qui pose problème alors qu'il est composé de cinq composants impermanents qui entrent en interaction.. Les cinq constituants sont la forme corporelle (rūpa), la sensation (vedanā), la perception (saṃjñā), la formation mentale (saṃskāra) et la conscience (vijñāna). Tout ce qui est impermanent est "dukkha". L'ignorance est la cause principale de la continuité (samsara). Le zen ne s'écarte pas du bouddhisme. Toute le contenu doctrinal du zen est résumé dans ce que nous chantons à chaque zazen :

"Le bodhisattva de la Grande Compassion, Avalokiteshvara, par sa pratique profonde de la Grande Sagesse, voit que les cinq agrégats ne sont que vacuité (ku) et par cette compréhension, il soulage toutes les souffrances. Shariputra, les formes (shiki) ne sont pas différentes du vide (ku) et le vide n’est pas différent des formes. Shiki lui-même est ku, ku lui-même est shiki. Il en est ainsi aussi de la sensation, de la perception, des formations mentales et de la conscience. Shariputra, toutes les existences ont l’aspect de ku. Elles sont sans naissance ni extinction, ni pures ni souillées, elles n’augmentent ni ne diminuent. Donc, dans ku, il n’y a ni forme, ni sensation, ni perception, ni formations mentales, ni conscience ; ni oeil, ni oreille, ni nez, ni langue, ni corps, ni conscience. Il n’y a ni couleur, ni son, ni odeur, ni goût, ni toucher, ni pensée. Donc, dans ku n’existe pas de domaine des sens. Il n’y a ni ignorance ni cessation de l’ignorance, ni illusion ni cessation de l’illusion. Il n’y a ni dégénérescence et mort ni cessation de la dégénérescence et de la mort. Il n’y a ni souffrance, ni cause, ni cessation, ni sentier. Il n’y a ni sagesse, ni obtention, ni non-obtention. Pour le bodhisattva, grâce à la Grande Sagesse qui conduit au-delà, l’esprit sans obstacle ne connaît pas la peur, et toute illusion, tout attachement sont éloignés. Il peut parvenir à l’ultime fin, le nirvana. Tous les bouddhas du passé, du présent et du futur pratiquent la Grande Sagesse et ainsi atteignent le plus parfait éveil. Donc, nous devons comprendre qu’Hannya haramita est le grand mantra brillant et lumineux. Le plus élevé de tous les mantras qui est incomparable. Sa force coupe toutes les souffrances. C’est le vrai mantra. Par lui il est possible d’atteindre l’essence de toute vérité : Aller, aller, aller ensemble au-delà du par-delà, jusqu’à l’accomplissement total de la Voie."

 Roland Vaschalde nie d'emblée toute possibilité de réalisation:

"Il existe sans aucun doute, une variété de souffrance qu'une attitude existentielle - et particulièrement une somme de techniques d'ascèse mentale et physique - est capable d'atténuer ou de faire largement disparaître mais de cela il est impossible d'inférer la totale extinction d'un pouvoir qui se confond avec la vie même." (...) "Gautama Bouddha en conclut que l'extinction du moi doit être une exigence de la démarche visant à éliminer la souffrance"
L'extinction du moi n'est pas une exigence de la démarche puisque le moi n'existe pas, c'est la suppression de l'ignorance qui est une exigence. Des techniques de "mindfulness" basées sur les techniques bouddhistes qui permettent de réduire considérablement la souffrance, on peut inférer la totale extinction de la souffrance. Même si la vie est susceptible d'être une vie souffrante, la vie elle-même n'est pas un continuum d'une substance une et indivisible. La continuité de la vie est une illusion. Il n'y a qu'une multitude de causes qui produisent une multitude d'effets. Il y a en nous à chaque instant des cellules qui naissent et qui meurent, qui se connectent et se déconnectent ("Le cerveau est constitué de neurones et de cellules gliales étroitement interconnectées. L'apprentissage modifie la force des connexions entre les neurones et modifie les réseaux neuronaux en favorisant l'apparition, la destruction ou la réorganisation non seulement des synapses mais également des neurones eux-mêmes.")
"La douleur existe, mais personne n'est affligé" Semblable énonciation constitue aux yeux du fondateur de la phénoménologie matérielle un scandale philosophique majeur et, à vrai dire une pure absurdité" ... "souffrir est toujours et nécessairement un processus en première personne"
 Hey Roland, tu ferais bien de jeter un œil  à Au cœur de la tourmente, la pleine conscience de Jon Kabat-Zinn chapitre 22 "Travailler avec la douleur physique : vous n'êtes pas votre douleur". Quelle comparaison apparait dans les résultats aux questionnaires sur la douleur physique et sur la souffrance psychologique entre des méditants et des non méditants (qui reçoivent des traitements médicaux puissants contre la douleur)? Les méditants montraient une amélioration de 36% pour la douleur physique et 77% pour la détresse psychologique. Les non-méditants montraient aucune amélioration pour la douleur et 11% pour la détresse psychologique. Entre une idée philosophique cohérente "souffrir est toujours et nécessairement un processus en première personne" et une idée absurde ""La douleur existe, mais personne n'est affligé" mais efficace, je choisis la seconde option. Ceci dit quand on l'expérimente soi-même, si je puis dire, l'idée parait beaucoup moins absurde. Si je dis moi-même c'est par convention. Il se trouve que j'ai été opéré d'un ongle incarné et j'avais lu que cela générait une grande souffrance (au moins la première nuit, suivant l'opération). Or, j'ai effectivement ressenti une douleur intense mais lorsque je parvenais à ne pas m'y identifier je constatais qu'effectivement je ne souffrais pas. Vous constatez alors que la souffrance n'est rien d'autre qu'un processus psychique parmi d'autres. Je n'ai pas nié que je ressentais de la douleur, ni que c'est bien à moi que cela arrivait, mais ce "moi" n'est constitué que de processus temporels limités. Jamais je n'aurais pu imaginer que je garderais un bon souvenir de cette aventure mais ce souvenir devient de plus en plus vague avec le temps. Ai-je vraiment eu mal? Était-ce bien moi qui ai subi cette opération?  C'est la mémoire qui donne l'illusion de continuité alors qu'elle n'est elle même qu'un processus de renouvellement de traces des événements avec disparition, temporaire ou durable, de certains éléments, ou avec transformations de détails plus ou moins importants.

"A la lumière de ces développements, il ne serait pas exagéré d'affirmer abruptement que le bouddhisme, au moins tel qu'il est présenté dans sa forme la plus répandue, est incapable d'initier une approche compassionnelle authentique. C'est qu'en fondant sa réalité sur le caractère déficient d'un processus mental inadéquat elle atténue en effet l'effectivité pathétique qui définit pourtant cette souffrance et qui constitue son caractère irrécusable -comment nier que je souffre quand je souffre?- De sorte que la compassion naît davantage du regret devant le spectacle de qui persévère dans l'erreur et du désir de l'éveiller à la vérité que de la sympathie éprouvée dans le partage fraternel d'une même condition souffrante, indépassable et reconnue comme telle dans l'évidence de ce qui se donne sans rémission dans le lien à soi de l'expérience originelle."

C'est bizarre, j'ai exactement le sentiment inverse. On ne partage visiblement pas les mêmes évidences phénoménologiques. Si je sais que la souffrance de l'autre est indépassable et que je ne peux absolument rien faire pour lui, je vais effectivement lui adresser un petit sourire de commisération. En revanche, si je pense que tout ce qui souffre est impermanent et interdépendant, et donc que la souffrance est dépassable, je vais tout faire pour soulager autant que possible la souffrance de l'autre. Une compassion qui ne mène pas à l'action, n'est pas de la compassion. Il n'y a pas d'amour sans preuve et la fidélité en est une. Si je comprends que l'autre a faim, je vais lui donner à manger. Je n'ai que faire du partage fraternel d'une même condition souffrante si elle ne débouche pas sur une action concrète comme faire la fête par exemple. Entre un ami qui souffre autant que moi avec lequel je ne peux que me complaire dans ma souffrance et un autre ami joyeux qui ignore superbement ma souffrance et qui m'invite à la dépasser, j'ai fait mon choix.


Eido Shimano Roshi - Vent doré - la liberté zen

"Maintenant, je dois vous rappeler encore une fois qu'il n'y a pas de zazen dogmatique, pas de théorie zen, et pas de philosophie zen. Il y a seulement la constante méditation du Soi. Gardant nos pieds sur terre, nous avons seulement la révélation constante de CECI - comme c'est, à chaque moment. Ceci est la réalité: ceci n'est rien d'autre que la manifestation, la cause de Mu. Aussi disons-nous: La nature de Bouddha pénètre l'univers entier se révélant ici maintenant."
Cette réflexion (qui évoque Mujo seppo, la prédication de la loi faites par l'inanimé) de Ido Shimano, qui est un Roshi dans l'école rinzaï se base sur le koan suivant:

On demande à Ummon: "Qu' est-ce que Bouddha?"
Ummon dit:"Un bâton à merde!"

On retrouve l'idée que tout ce qui est, même la chose la plus triviale est le bouddha. Ce qui implique que nous devons prendre soin du papier hygiénique (le bâton à merde) et que "nous devons devenir intimes avec toutes choses."

"Cette semaine, j'ai brisé un bol précieux. Fondamentalement, il est vrai qu'un bol cassé est juste un bol cassé. Mais du point de vue pratique j'aurais dû faire plus attention. Nous devons apprendre à incorporer la pratique dans le fondamental."

J'avoue avoir été un peu troublé par ce livre parce que d'un côté il est très enthousiasmant d'un autre j'étais gêné sans trop savoir pourquoi, un peu comme l’inquiétude qui nait lorsque quelqu'un qui essaye de vous vendre quelque chose vous brosse un peu trop dans le sens du poil, ce qui chez moi conduit à l'effet contraire. Je n'ai pu m’empêcher, arrivé au 3/4 du livre, de faire une petite recherche sur internet alors que je ne savais absolument rien de cet auteur. Je suis rapidement tombé sur un article dont le titre est évocateur: The Zen Predator of the Upper East Side qui porte précisément sur Eido Shimano. Il n'est accusé ni de pédophilie ni de viols mais d'avoir profité de son statut de Roshi et de son charisme pour avoir des aventures sexuelles avec de multiples partenaires alors qu'il était marié. Ma conclusion c'est que sans discipline c'est à dire sans le respect des préceptes, zazen, ne nous prémunit de rien. Qu' un "maître" insiste sur la liberté zen et peu sur la discipline zen, cela devrait nous inquiéter.

Je me demandais quel rapport il pouvait y avoir entre la kundalini et zazen. Il n'est pas impossible que zazen libère de la kundalini, dans les deux sens du mot. Sans kundalini pas d'éveil mais une fois libéré, c'est comme chevaucher un tigre. Mieux vaut que ce soit vous qui chevauchiez le tigre plutôt que ce soit vos pulsions qui vous guident. Sur les quatre plus grands maitres, dont fait partie Eido Shimano Roshi  ayant enseigné le zen aux états-unis, seul Shunryu Suzuki Roshi s'en sort indemne de scandale. Voilà qui donne à réfléchir.

Éric Rommeluère : "la réalité n'est pas toujours sensuelle"




A 2h48 A propos du livre de Fabrice Midal, "Célébrer l'instant présent, honnêtement moi ça ne me parle pas, parce que j'ai l'impression d'une vision presque romantique, sensuelle, sensitive du monde contemporain, (et c'est là peut-être mon côté bouddhiste engagé), la réalité n'est pas toujours sensuelle"

Bon, c'est rassurant de voir que l'on peut critiquer les livres sur la méditation que ce soit ceux de Christophe André ou de Fabrice Midal.

les questions d' Éric Rommeluère et mes réponses :

Que peut signifier le terme de méditation religieuse?

C'est le contexte dans lequel prend place la méditation qui lui donne sa connotation religieuse. Je ne médite pas différemment chez moi ou dans le dojo seulement dans le dojo il y a parfois un maitre qui donne un enseignement et on chante des sutras qui sont accompagnés de leur traduction en français. Si, au départ la dimension religieuse peut sembler anecdotique voir exotique, elle nous interroge. C'est la raison d'être de ce blog que de s'interroger sur la part religieuse de cette pratique qui renvoie autant à l'éthique (altruisme, compassion, amour inconditionnel), au réel (le dharma et dans quelle mesure on y a accès) et au pourquoi de notre présence au monde. Une méditation laïc renvoie seulement au mieux-être ce qui n'est pas un mal mais un début.

La méditation est-elle conscience d'être une méditation au sens bouddhique? 

Oui car je pense que même un débutant peut faire l'expérience de la vacuité, en zazen, ce qui est une expérience radicalement différente de tout ce qui est proposé dans les autres religions. Si l'on disait que l'on fait l'expérience de la présence (ou de l'absence) de Dieu ou du Soi, la méditation ne serait plus méditation au sens bouddhique du terme.

Quelle est le vécu réel des personnes qui pratique la méditation?

Au début de zazen, une attention à la posture (genoux au sol, les pouces qui se touchent, le menton rentré, la colonne vertébrale droite) et à la respiration, puis les pensées qui portent sur ce qui s'est passé dans la journée arrivent, ce qui relève du passé le plus proche et à partir de là, ce que je dois faire à l'avenir ou ce que j'aimerais faire. C'est donc pour moi au début une sorte d’examen de conscience mais sans jugement de valeur. Puis ces pensées passent et je reviens dans le dojo, à ma posture, à la respiration, aux sensations. J'ai d'un coup le sentiment d'être là. J'ai un vague souvenir de ces moments car ce sont des moments sans pensées, seulement un souvenir de sensations brutes, sons des voitures au loin, des cloches, bruits des autres personnes autour de moi, odeurs, douleurs ou absence de sensation dans les jambes ou dans le dos.. Si je cherche à prendre conscience de ce qui se passe je retourne immédiatement dans les pensées. Il y a parfois des choses lointaines qui me reviennent en mémoire, des images mentales, un peu comme si on rêvait mais éveillé. Puis son de cloche et on se lève difficilement pour faire kin-hin. Pendant kin-hin on fait attention à synchroniser la marche avec la respiration et aux sensations dans les pieds et dans les jambes mais surtout à trouver le bon équilibre. Puis retour à Zazen, le calme revient plus vite dans les pensées. Parfois, c'est le moment où je m'ennuie le plus en attendant le kusen, car je sais que ce moment risque de ne pas durer longtemps et qu'il est inutile de partir dans une grande réflexion à ce moment là. Je passe en mode attente contemplative. Puis pendant le kusen, j'écoute avec attention en essayant de comprendre et je garde pour moi mon esprit critique. Puis je repasse en mode attente contemplative jusqu'au tambour. ...Puis les chants pendant lesquels j'essaye de me synchroniser avec les autres. Après la méditation, je suis plus attentif à tout ce que je fais et aux autres pendant le pot avec les autres. Je passe en mode écoute. Je fais encore plus attention en conduisant et généralement j'ai faim. et je suis toujours super content de retrouver mes enfants.

La pratique de la pleine conscience nous rend-elle plus conscient?

Pour ce que je pense en avoir compris, il me semble que oui. En ne voyant dans ma douleur qu'un phénomène auquel je ne dois pas m'identifier, tout en pratiquant l'auto-compassion, je pense que l'on peut aboutir à un mieux-être, une ouverture au monde et aux autres et donc à un sentiment de présence accru par une meilleure interaction aux autres. On peut donc avoir le sentiment d’être plus conscient ce qui ne signifie pas forcément que l'on soit réellement plus conscient. On est quand même réellement un peu plus conscient si l'on cesse un peu d'être à côté de ses pompes mais il y a toujours un progrès possible pour sortir de l'illusion pour ne pas dire du Samsara.

Peut-on apprendre la méditation en lisant des livres et en écoutant des cds?

Oui et non. Tout dépend de ce qu'on entend par méditation. Certains cds sont vraiment bien fait et permettent une vraie relaxation. Lorsque mon fils à du mal à s'endormir je lui fais écouter une méditation guidé qui est d'une efficacité redoutable. Cela n'a presque rien à voir avec zazen. Zazen ne me relaxe pas du tout et après j'ai souvent du mal à m'endormir. Le mieux, c'est d'apprendre avec un maitre même si la technique est simple :  seulement s'assoir et (à minima) laisser les pensées s'envoler, (idéalement) se dépouiller du corps et de l'esprit.


Peut-on devenir un instructeur de méditation après deux mille heures d'assise?

Si un instructeur de méditation est quelqu'un qui vous montre grossièrement la posture puis vous guide oralement lors des premières minutes, il n'est pas nécessaire d'avoir deux mille heures d'assise. En revanche, si on parle de la relation maitre disciple telle quelle apparait dans le zen, ce n'est pas le nombre d'heure d'assise qui importe mais la transmission, que le maitre atteste le disciple pour qu'à son tour celui-ci puisse devenir un maitre. Seul un vrai maître peut vous enseigner la posture juste et 40 ans de pratique ne sont pas de trop.