Étienne Zeisler - Le chant de l'illumination silencieuse

Étienne Zeisler était un disciple de Maître Deshimaru. Il était très apprécié, à tel point qu'on en entend régulièrement parler plus de 25 ans après son décès. Cela donne envie d'y regarder d'un peu plus près.
A première lecture ce qui me surprend le plus dans ces kusen publiés en 1988 ce n'est pas tant sa proximité avec Deshimaru que la distance qu'ont pris avec les années les autres disciples de Deshimaru à l'exception peut-être de Kosen Thibault.
Peut-être n'ai-je pas encore assez lu Deshimaru pour vraiment percevoir ce qui fait le propre de la pensée d'Etienne Zeisler. Néanmoins il y a quelques idées que je vais reprendre ici.

Des langues de vipères très présentes sur un forum reprochent aux dojos qui sont affiliés à l'AZI, l'utilisation envahissante des kusen qui prendraient trop de temps sur la méditation qui est censé être sans objet et silencieuse. Dans le dojo dans lequel je vais qui est affilié à l'AZI la durée des kusen est très variable et n'est pas systématique (jeudi dernier il n'y a pas eu de kusen du tout). Même si je milite tout de même un peu pour que les kusen ne soient pas trop longs, j'ai rigolé en lisant les propos d'Étienne Zeisler

"Quelqu'un m'a dit : "les kusen, c'est trop bruyant, ça me dérange." C'est mieux d'être dérangé par la Voie que de suivre vos propres pensées. Quoi qu'il en soit vous seul pouvez comprendre au fond de votre esprit (...) Réaliser que votre grand sac de peau puant n'est pas différent de Bouddha, et comprendre que Bouddha se manifeste dans une simple feuille de salade. Si vous ne suivez que le cheval et le singe, vous ne pourrez jamais comprendre, même si vous pratiquez durant des années" 3 août 1986

Que Bouddha se manifeste dans une simple feuille de salade fait référence au Tenzo Kyokun dont ce kusen est un commentaire et donc incidemment à Mujo Seppo. 

Je viens de passer plusieurs jours à la Gendro et j'ai vraiment été étonné par la capacité de Gérard Pilet à venir bousculer mes propres pensées pendant les kusen ne serait-ce que par la fermeté de sa voix qui est très différente de celle, plus douce, que l'on peut entendre lorsqu'il est invité à Sagesse bouddhiste. J'ai ainsi pu mesurer, à nouveau,  la distance qui sépare le fait de lire des kusen et le fait de les entendre dans le grand dojo de la Gendronnière entouré de plus d'une centaine de pratiquants. L'acoustique du lieu est extraordinaire. C'est vraiment une chance que de pouvoir pratiquer là-bas. La Sangha de Gerard Pilet est très bienveillante et accueillante.

La deuxième partie des kusen est un commentaire des règles du dojo de Maître Dogen (Ju Undo Shiki). On peut lire différentes traductions de ce texte mais j'avoue avoir une préférence pour celle-ci même si j'ignore si c'est la traduction la plus proche de l'esprit de Dogen.

En effet je préfère :
"Si vous vous rendez compte que votre présence ici est une erreur, vous devez partir"
à cette autre traduction
"Si quelqu’un a été admis par erreur nous devrions, après réflexion, les inviter à partir."

Logiquement les règles devraient s'adresser à ceux qui entrent pour la première fois et non pas à ceux qui font déjà partie de ce dojo. Je suis extrêmement hostile à l'idée d'exclure des gens du Dojo, y compris ceux dont la motivation ne semble pas sincère. Il est déjà arrivé que des gens bizarres viennent au dojo, mais la pratique de zazen est en elle-même suffisamment difficile pour que ces personnes ne reviennent pas d'elle-même sans qu'il soit besoin d'en rajouter. J'ai eu des échos de gens exclus de dojo par lettre recommandé. De mon point de vue, même si j'ignore les tenants et les aboutissants de cette histoire, c'est une hérésie. J'ai le sentiment que Deshimaru avait une attitude très inclusive mais je n'y étais pas.
Le commentaire d'Etienne Zesler va en ce sens : "Si  vous ne saisissez pas le signification originelle, vous serez obligé de partir, vous serez fatigué, épuisé, vous ne ferez que perdre votre temps"..." Quelqu'un qui venait ici, pratiquait depuis longtemps, à la fin, il est parti. Il a dit "Je n'y crois plus"

Les règles de Deshimaru qui sont calqués sur celles de Dogen vont dans le même sens :

"Dans ce dojo, ne sont admises que les personnes sincères et concentrées, voulant pratiquer la Voie en continuant zazen. Ceux qui viennent dans un autre esprit doivent y réfléchir"

Dans le traduction d'Etienne Zesler:

"Aucun moine ne peut être admis dans ce dojo s'il ne recherche pas sincèrement la Voie et s'il n'a pas une forte détermination à rejeter les honneurs et le profit. Personne ne peut entrer dans ce dojo s'il a le but d'obtenir le satori. Si vous vous rendez compte que votre présence ici est une erreur, vous devez partir"

En revanche j'ai du mal à comprendre une partie de la règle n°3 :
"Ne lisez aucun livre ici, même pas des livres sur le zen"
Pour prendre connaissance de cette règle il m'a bien fallu ouvrir un livre sur le zen. Etienne Zesler a beau jeu d'ajouter "Même si vous vous donnez beaucoup de mal pour lire des livres sur le zen, en fait vous n'apprenez que des idioties" heuh? cette phrase est-elle auto-référentielle?

Trêve de plaisanterie, je pense que cette règle est limité au dojo car je vois mal comment on pourrait prendre connaissance du Trésor de l’œil autrement qu'en lisant Dogen.


Eric Rommeluère - S'asseoir tout simplement - L'art de la méditation zen

Très beau petit livre de 2015 dans lequel Eric Rommeluère parle de son expérience de la méditation. L'évocation des trois maîtres (Deshimaru Taisen, Ryôtan Tokuda-Igarashi et Gudô Wafu Nishijima) qu'il a fréquenté est très touchante. Il me semble que l'un des enjeux de ce livre est de montrer que l'assise en zazen n'est pas une technique même si l'attention à la respiration est souvent préconisé. Mais cette attention ne doit pas évacuer le réel.

"A chaque instant, notre rencontre avec le réel est neuve, et d'une certaine façon, nous sommes toujours éveillés par le réel. Pourtant, la rencontre reste imparfaite, obstruée par les perceptions, les attentes et les projets qui nous empêchent de voir authentiquement le réel. Parfois cependant un évènement inattendu surgit dans la procession des moments qui passent et démaille avec force et virulence les attentes et les projets. Un tel événement nous démontre immédiatement et soudainement que nous sommes toujours incarcérés dans le jeu de nos habitudes et de nos pensées. Nous n'apercevons qu'une semblance de réel. Confronté à l'inattendu, quelque chose que nous n'attendions pas surgit, et ce qui surgit n'est autre que le réel. Nous sommes interpellés jusqu'au plus profond de notre cœur ; nous sommes défaits par la fulgurance. Mais si nous savons l'entendre, la soudaineté nous invite à nous dépouiller de notre ancienne peau. Dans le même instant, nous mourons et nous naissons, nous nous quittons et nous nous retrouvons" (p48-49)

Il y a souvent un malentendu sur l'éveil qui nous fait croire qu'il nous fait plus qu'il nous défait. Sur le site agoravox il y a un article qui montre bien ce type d’erreur : 

"    Ah le satori … C'est la grosse plaisanterie des pratiquants entre eux. Tout le monde en parle mais PERSONNE ne l'a vécu, même pas les "maitres" ? Et comme ces "maitres" (entre guillemets) n'ont jamais expérimenté le satori, ils ont trouvé un moyen commode pour écarter toute velléité de connaissance. Il faut pratiquer sans but ni esprit de profit (mushotoku en japonais). Autrement dit, ne rien attendre et surtout ne pas vivre des expériences. Conséquence, il ne faut pas leur avouer avoir vu la lumière, senti un chatouillement bizarre dans la colonne vertébrale ou le cervelet suivi d'une illumination (kundalini) comme beaucoup l'ont vécu sans avoir rien demandé (comme moi !) et sans oser en parler dans leur entourage.
Quoi, quoi, vous répond le maitre, vous prétendez avoir vu la lumière !
Ouh la, mais c'est très mauvais il faut absolument vous méfier de ce genre d'expérience.
Pensez donc, lui, il ne l'a jamais vu ;-)"
On voit bien comment ici l'égo récupère ce type d'expérience pour nous faire croire que nous serions au-dessus du maitre car si le maître  n'y accorde aucune importance c'est peut-être qu'il n'en a pas vécu de semblable. Vous aurez beau expliquer à cette personne que c'est très bien d'avoir vu la lumière mais qu'il n'en est pas plus avancé pour autant et que c'est seulement la pratique qui lui permettra d'approfondir cette expérience, il s'attachera malgré tout à ce type d'expérience et souhaitera en revivre d'autres. Sur fond d'ennui profond, les moments d'extases sont des moments très plaisants. Seulement s'ils ne défont pas notre arrogance, ils risquent fort de nous transformer en illuminé sectaire. Il n'est pas interdit d'en parler mais il faudra s'attendre à ce que le maître nous fasse redescendre sur terre. Il faut aussi se méfier de ce que disent les maîtres, en public, il disent qu'ils ne sont pas éveillés et qu'ils ignorent superbement ce qu'est le satori. Kodo Sawaki dit volontiers qu'il n'a jamais fait cette bêtise. En privé, si vous savez les prendre, ils sont susceptibles de vous raconter des choses étonnantes mais cela relève de leur intimité. Ainsi, vous pouvez croiser des anciens (qui font partie de l'AZI depuis des lustres) qui vous diront qu'aucun des maitres de l'AZI n'est éveillé. Aucun ne prétend l'être, d'ailleurs. Cependant, si vous savez écouter, vous comprendrez que l'éveil n'est peut-être pas ce que vous imaginez.

De toute évidence, s'éveiller ne consiste nullement à vivre des extases dans la solitude d'une vie bien rangée mais bien au contraire, comme le dit Eric Rommuluère, "à entrer dans la boue et dans la fange et à considérer la vie comme un défi d'instant en instant renouvelé".

---------- Extrait d'un forum------------
Utilisateur2016 a écrit:
Personellement, le shikantaza ne me semble pas s'opposer à la polémique

Sb a écrit: 
Shikantaza est mushotoku, sans but ni profit.

Eric Rommeluère, dans S'asseoir tout simplement, polémique à propos de Vipassana et de la méditation de Pleine Conscience.

Il leur reproche d'exclure le discernement.

La "dimension d'analyse est évacuée dans le mindfulness"... "une forme d'attention dénudée de sa fonction examinatrice"

Il oppose ces formes de méditation au Bouddhisme engagé

"Un pratiquant du dharma n'est pas simplement convié à explorer le monde de ses émotions, de ses sensations, de ses pensées ou le monde impersonnel des relation humaines, mais à découvrir son implication dans la sphère sociale et civile (...) Les enseignements du Bouddha offrent une tout autre conversion de notre agir et de notre devenir"

Donc, même si Shikantaza est mushotoku, à un moment ou à un autre on retrouve le discernement dont la polémique est la forme la plus extrême. La polémique ne doit pas exclure la parole juste. 


"Par parole juste, nous entendons surtout éviter le mensonge et à l’inverse, s’exprimer d’une manière vraie, authentique. C’est aussi une parole qui va éviter de blesser, de faire souffrir : la manière de s’exprimer sera également très importante." http://blog.dogensangha-martinique.org/?p=115