Maître Dôgen - Le moine ayant atteint le quatrième stade de méditation [Shizen-biku] - Shôbôgenzô, la vraie Loi, Trésor de l'Oeil - Tome 8

Comme pour le tome 7 je pensais que celui-ci serait encore moins intéressant puisqu'il s'agit des textes inachevés de Dogen. Or même ces textes sont passionnants puisqu'ils compilent des textes qui devaient sembler importants aux yeux de Dogen à la fin de sa vie notamment celui-ci. 

Il commence ainsi :

"Le quatorzième patriarche Nâgârjuna dit: " Parmi les disciples de l’Éveillé, il y avait un moine qui, ayant atteint le quatrième stade de méditation, était gonflé d'orgueil et croyait avoir obtenu les quatre fruits" (...) Étant fier et plein d'autosatisfaction, il ne cherchait plus à progresser davantage. Quand sa vie allait toucher à sa fin, il vit apparaître l'existence intermédiaire avec l'aspect du quatrième stade de méditation. Il produisit alors une vue tordue, s'imaginant que le Nirvana n'existait pas et que l’Éveillé l'avait trahi. Dû à cette mauvaise vue tordue, il perdit le quatrième stade de méditation dans son existence intermédiaire et vit apparaître l'aspect de l'enfer des souffrances sans intermittence. Quand sa vie prit fin, il naquit aussitôt dans cet enfer." 

Les moines à qui le Bouddha racontait cette histoire l'interrogent et il finit par expliquer:

"Ni l'écoute assidue, ni l'observance des préceptes, ni la méditation ne sauraient supprimer toutes les passions. S'il existe la vertu acquise, la difficulté est de croire en celle-ci"

Dogen commente en disant qu'il n'aurait pas du quitter son maître pour demeurer seul dans une forêt. Il insiste ensuite sur la force de l'apprentissage (au sens pratique) et l'étude (au sens théorique).
"Même s'ils commettent une erreur de vue innée, ceux qui ont appris et étudié la Loi de l’Éveillé, si peu que ce soit, ne seront ni dupes d'eux-mêmes, ni dupes des autres."
Où l'on voit que l'apprentissage et l'étude sont pour Dogen d'une grande importance pour ne pas se duper et duper les autres. C'est un peu le problème des nouveaux convertis, quelque soit la religion, ils sont souvent d'une naïveté confondante. Aller regarder les textes de près permet d'éviter de se laisser raconter n'importe quoi par celui dont l'habit fait le moine. Je ne dis pas qu'il ne faut pas accorder sa confiance à la parole vivante du maître mais raison garder. La cohérence est un critère de la vérité fut-elle non-duelle.

Dogen profite de ce texte pour lancer une nouvelle charge non pas tant contre le confucianisme et le taoïsme mais contre "les gens lourds et stupide, ayant peu entendus l'enseignement de l'Eveillé" qui considèrent que "la Loi de l’Éveillé et l'enseignement  de Laozi et de Confucius reviennent au même", et pour qui "il n'y a pas de différences entre les chemins". Pour Dogen leur erreur est encore plus grande que celle du moine qui ayant atteint le quatrième stade de méditation, tombe en enfer. Le principal argument de Dogen (qu'il reprend de Tannen -mort en 782-) est de dire que Confucius et Laozi (Lao Tseu) ignorent ce que le petit et le grand vehicule "tantôt affirme et tantôt nie" notamment les renaissances

"Ils prennent pour essentiel la science de servir le Seigneur avec loyauté et de gouverner la famille durant à peine une vie."

Dans sa charge Dogen englobe ceux qui réduisent la Loi de l’Éveillé à la vision de la nature de Bouddha.

"Dans le Sûtra de l'estrade du sixième patriarche figure le mot la "vision de la nature" Celui-ci est une fausse écriture; il n'est pas une écriture du Canon de la Loi transmis ; il ne rapporte pas les mots de Sôkei (le sixième patriarche) ; c'est une écriture sur laquelle ne s'appuient nullement les enfants et les petits-enfants des éveillés et des patriarches.."
Sur un forum je suis tombé sur un échange qui m'a doucement fait rigoler : "...De plus tu viens argumenter parce qu'un soit-disant zeniste, sur un forum, disait que le sutra de l'estrade, c'est de la daube. Il faudrait que tu aies une meilleure base de travail pour étudier le bouddhisme zen pour venir essayer de me contrer sur ce point. Des débiles, sur les forums, on en rencontre des tonnes. Ne me fais pas croire qu'en prenant ces mots à la lettre tu puisses faire partie de ceux-là." (...) Si un zeniste remet en cause le sutra de l'estrade, il n'est pas zeniste. Point barre. C'est comme si on remettait en cause l'Eveil du Bouddha en se prétendant bouddhiste. Ça n'a tout simplement aucun sens." antodume en 2012 sur Nangpa

 Il y a néanmoins un point qu'avait soulevé A. D. et sur le coup, j'avais manqué de répondant. J'avais vertement critiqué Sex, Sin, and Zen: A Buddhist Exploration of Sex from Celibacy to Polyamory and Everything In Between de Brad Warner et il m'avait répondu : "As-tu entendu parler de Ikkyu ? Sais-tu qu'il est mort (vers 80 ans) entre les cuisses d'une prostituée et qu'il les fréquentait souvent parce qu'il aimait les femmes ? Ça te gêne ? Ça retire quelque chose à son satori ? En plus d'être un débutant arrogant, tu te comportes comme un ayatollah effarouché. C'est pathétique."

De mon point de vue, oui ça retire quelque chose à son satori et c'est l'un des points important de ce texte de Dogen. Le texte de Dogen montre bien que l'on peut atteindre le plus haut stade de méditation et chuter. La suite du texte de Nagarjuna raconte l'histoire d'un moine qui ayant atteint le quatrième stade de méditation "crut avoir obtenu les quatre fruits". Son maître lui dit d'aller quelque part et sur la route des bandits (fantasmagoriques) lui font une peur bleue et il se rend alors compte qu'il n'est pas un saint  "En fait, je ne suis pas un arhat ; c'est seulement le troisième fruit que j'aurais obtenu". Ensuite une femme apparait  qui le séduit. "il éprouva le désir sensuel. Alors, il se rendit compte qu'il n'avait même pas obtenu le fruit du "sans retour". Dogen commente ce passage en disant qu'au moins il s'est rendu compte qu'il n'était pas un saint alors que de son époque les gens ne s'en rendent même pas compte.

"S'agissant des gens d'aujourd'hui sans écoute, comme ils ignorent comment doit être un arhat et comment doit être un Eveillé, ils ignorent également qu'ils ne sont ni arhats ni éveillés"
 On notera au passage que la non-peur se situe à un niveau au dessus du désir sensuel. Ne pas maitriser son désir sensuel est bien le signe que nous sommes encore bien loin de la réalisation et qu'il faut travailler dessus. Un éveillé peut fréquenter des prostituées mais s'il a commerce (au sens sexuel du terme) avec elles, il n'est clairement pas un éveillé. Je sais bien qu'il existe des pratiques tantriques qui utilise l’énergie sexuelle mais elles ne font pas de l'acte sexuel une fin. Et puis il faut déjà avoir un haut niveau de pureté pour pouvoir les pratiquer sans dommage. Je ne m'y risquerais point.

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